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Les agriles, de rutilants xylophages

En France, les agriles restent généralement des ravageurs secondaires dont les larves s'attaquent aux arbres affaiblis. Ce n'est pas le cas sur le continent américain où une espèce originaire d'Asie a entraîné la mort de millions de frênes.

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Les agriles, Agrilus spp., coléoptères de la famille des buprestidés, constituent l'un des plus grands genres dans le monde avec plus de trois mille espèces décrites ; la France en compte trente-neuf. Certains occasionnent des dégâts en arboriculture fruitière (bupreste du poirier Agrilus sinuatus, par exemple), en forêt et/ou espaces verts (agrile du chêne Agrilus biguttatus Fabricius, agrile du peuplier Agrilus ater Linnaeus, agrile vert Agrilus viridis Linnaeus...). Il s'agit la plupart du temps de ravageurs de faiblesse : leurs larves xylophages sont préjudiciables pour les arbres affaiblis par une sécheresse estivale, la sénescence, de mauvaises conditions de plantation – compaction du sol, excès ou manque d'eau... –, une maladie ou encore des blessures du tronc ou des racines. Elles interviennent dans le processus d'humification en accélérant la dégradation du bois. Aux États-Unis et au Canada toutefois, une espèce originaire de l'Est asiatique (Chine, Japon, Taïwan, Corée, Mongolie, Extrême-Orient russe), Agrilus planipennis Fairmaire, ravage les plantations de frênes tant et si bien que cette « peste verte » est devenue un sujet de préoccupation majeur pour les autorités responsables de la santé des forêts.

1 UN DIAGNOSTIC TARDIF.

Les agriles adultes ont un corps allongé à l'extrémité effilée, des antennes courtes, et une couleur métallique et brillante (verte, bronze, bleutée...). Les larves blanchâtres, au corps effilé, présentent une tête en forme de massue. Les espèces sont très difficiles à identifier. La plupart sont inféodées à plusieurs plantes, mais certaines sont liées à des hôtes spécifiques. Ce sont des insectes diurnes, héliophiles et thermophiles, dont les adultes affectionnent les emplacements exposés au soleil (souche, branche, tronc...). Le cycle de nombreuses espèces européennes est annuel : émergence des adultes en mai-juin suivi de l'accouplement, ponte des oeufs dans les anfractuosités de l'écorce, développement larvaire, diapause hivernale.

Les adultes consomment feuilles, pétales, écorce tendre, mais leurs dégâts sont insignifiants. En revanche, leurs larves creusent dans l'aubier des galeries caractéristiques, sinueuses, aplaties et larges, qui perturbent la circulation de la sève. Le diagnostic est souvent établi alors que l'attaque est déjà généralisée. Les premiers symptômes touchent la partie supérieure du houppier, avec le jaunissement et le flétrissement des feuilles, le dépérissement de certaines branches. La canopée semble clairsemée. D'autres signes révèlent l'infestation : trous de sortie des adultes en forme de D couché de 4 à 5 mm de large, sève suintant et tachant l'écorce, bosses et protubérances en zigzag correspondant aux endroits où l'arbre a cicatrisé à l'intérieur. Les arbres meurent quelques années après l'apparition des premiers symptômes.

2 EN FRANCE, L'AGRILE VERT EST OCCASIONNEL.

Sur notre territoire, les conditions climatiques extrêmes (sécheresse, chaleur, tempêtes) et les incendies induisent un affaiblissement physiologique des arbres et sont à l'origine d'une recrudescence des dommages d'insectes sous-corticaux ou xylophages : agriles, scolytes, capricornes, capnodes... Les dessèchements du feuillage dus à l'agrile vert ou bupreste vert Agrilus viridis sont généralement détectés au printemps, principalement dans le sud de la France (excepté sur la bande côtière). Ce xylophage est signalé depuis deux-trois ans sur de jeunes sujets de tilleul, charme et hêtre d'alignement en Île-de-France (1). L'espèce, commune en France, est également recensée sur bouleau, chêne, peuplier, saule... Les adultes mesurent de 6 à 8 mm et les larves de 10 à 12 mm. « Les infestations de ce bupreste polyphage, plutôt sporadiques, sont très souvent associées à des arbres malades ou sénescents », rappelle Jérôme Jullien, expert référent national en surveillance biologique du territoire à la DGAL-SDQPV (2). « Ces attaques révèlent soit des conditions de culture défavorables, soit un état de stress des plantations arborées. Une fois les premiers dégâts observés, les infestations vont augmenter au fil des ans. Il convient d'agir dès la détection des premiers individus, en coupant et brûlant les branches atteintes, voire l'arbre s'il est très touché. A priori, ces dégâts ne sont pas de nature à alerter les professionnels des pépinières et des espaces verts. »

3 EN AMÉRIQUE DU NORD, UNE PESTE VERTE SUR FRÊNE.

Absent à ce jour du territoire européen, l'agrile du frêne Agrilus planipennis (liste A1 de l'OEPP, Organisation européenne de protection des plantes) est capable de tuer toutes les essences de frênes indigènes d'Amérique du Nord, mêmes des arbres sains, et ce quelle que soit leur taille. Fraxinus americana, Fraxinus nigra, Fraxinus pennsylvanica et Fraxinus excelsior sont parmi les plantes hôtes préférées. Les frênes asiatiques (Fraxinus chinensis, Fraxinus mandshurica) semblent moins sensibles que les espèces européennes et nord-américaines. Selon des études japonaises, l'insecte s'attaquerait également à l'orme de David (Ulmus davidiana), au noyer de Mandchourie (Juglans mandshurica) et au ptérocaryer du Japon (Pterocarya rhoifolia).

L'agrile du frêne a été observé pour la première fois en Amérique du Nord (Michigan) en juin 2002 – la mortalité des arbres indique que l'infestation datait déjà de 5 à 7 ans –, il a été signalé peu après en Ontario. Dans ces deux secteurs, plusieurs dizaines de millions de frênes ont été tués par le ravageur, que ce soit en milieu urbain, rural ou en forêt. Celui-ci s'est ensuite disséminé dans un nombre croissant d'États (3). Il aurait été introduit sur le territoire américain par des matériaux d'emballage en provenance d'Asie. L'adulte vert métallique mesure de 8,5 à 13 mm de long. La larve élancée, blanc crème, à tête brune, atteint une longueur de 26 à 32 mm. Elle passe l'hiver dans l'arbre et creuse des galeries verticales, peu profondes, qui zigzaguent à angles aigus sous l'écorce. Des fissures verticales de l'écorce de 7 à 10 cm de long s'observent souvent au-dessus des galeries larvaires, en particulier sur les arbres jeunes ou au tronc mince. D'importants efforts de recherche et de contrôle ont été mis en oeuvre : quarantaine interdisant le transport de produits à base de frêne - billes, arbres, branches, bois de chauffage, copeaux... -, relevés, abattage et brûlage des arbres infestés ainsi que ceux dans un rayon de 500 m, étude et lâchers de parasitoïdes hyménoptères (Oobius agrili, Spathius agrili, Tetrastichus planipennisi).

4 DES IMPORTATIONS À SURVEILLER POUR PROTÉGER NOS FRÊNES ET NOS BOULEAUX.

L'augmentation des échanges de bois (copeaux, emballage, plants...) soulève un risque significatif d'introduction accidentelle de l'agrile du frêne en Europe. Selon la DGAL-SDQPV, en France, l'atteinte potentielle concernerait quelque 170 000 hectares de frêne dans les formations boisées de production, ainsi que les arbres ornementaux en zones urbaines. Le succès des mesures d'éradication dépend de la précocité de la détection du ravageur, or le diagnostic intervient lorsque le ravageur est bien établi, c'est-à-dire qu'il a déjà réalisé plusieurs générations. Depuis 2009, les importations de frênes en Europe ne sont permises qu'à partir de zones exemptes de parasites ou de sites de production où le ravageur n'a pas été observé pendant au moins 2 ans (4). Un autre agrile, natif d'Amérique du Nord, suscite la vigilance des services européens chargés de la protection des végétaux : l'agrile du bouleau Agrilus anxius Gory. Il provoque des dégâts sur de nombreux bouleaux d'ornement (en particulier Betula pendula et Betula pubescens), notamment dans le nord-est des États-Unis et au Canada, ainsi qu'en forêt. L'importation croissante de copeaux de bois de bouleau en provenance du continent américain – en particulier dans les pays scandinaves qui l'utilisent pour la production de biofioul – pourrait constituer une filière d'entrée en Europe pour ce petit agrile cuivré de 12 mm de long.

Valérie Vidril

(1) Source : Phyt'Ornement® n° 15 du 31 août 2010. (2) Direction générale de l'alimentation-Sous-direction de la qualité et de la protection des végétaux. (3) De nombreuses informations sur la situation de l'agrile du frêne en Amérique du Nord, dont une carte présentant sa répartition actuelle, sont disponibles sur le site www.emeraldashborer.info (4) Directive 2000/29/CE du 8 mai 2000 concernant les mesures de protection contre l'introduction dans la Communauté d'organismes nuisibles aux végétaux ou aux produits végétaux et contre leur propagation à l'intérieur de la Communtauté.

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